top of page

L'Espagne, avant-garde du mouvement féministe en Europe?

By Marta Thinnes ((European Political and Governance Studies - Manuel Marín Promotion)



« C’est féministe, pas feminazi »

Vous avez sûrement froncé les sourcils en lisant ce titre. Comment ça, l’Espagne des toreros, du “macho ibérique”, des 98 femmes assassinées par leur conjoint en 2018, du harcèlement de rue constant, peut devancer le reste de l’Europe en mobilisation féministe?

La première journée de grève des femmes en Belgique a été officiellement annoncée pour ce 8 mars par le “Collectif.e.f 8 maars”, avec l’objectif de rendre visible tout le travail que font les femmes. Or, ce collectif s’est dit mené par l’inspiration donnée par des mouvements à l’étranger, et notamment la grève organisée l’année dernière en Espagne à la même époque.


En effet: le 8 mars 2018, suivant l’exemple antérieur de l’Amérique du Sud, une véritable vague violette inonda chaque coin du pays et le paralysa, s’étendant jusqu’aux recoins les plus inespérés. Et en 2019 ? La journée a, encore une fois, dépassé toutes les attentes.

De nombreuses espagnoles n’étaient pas présentes à leurs postes de travail. Leur absence était criante dans les entreprises, administrations publiques, universités et même sur les plateaux télévisés, où leurs collègues avaient du mal à faire dérouler la programmation comme d’habitude. De nombreuses journalistes, dont quelques présentatrices star, faisaient grève. Les maires de Barcelone et Madrid, ainsi que 12 ministres du gouvernement dont la vice-présidente, aussi. Elles étaient en train de se réapproprier des rues, en train de dominer l’espace public, pour une fois.


Les chiffres ont été impressionnants : 350 000 manifestants à Madrid, 200 000 à Barcelone, 220 000 à Valencia, ou d’autres protestes massives à Bilbao, Séville, Grenade, Vigo, et un long etcétéra. Même les politiciens se déclarant moins en faveur de ce mouvement ont fini par se rendre au féminisme et l’utiliser comme arme électorale. Quand la moitié d’un pays se réveille, il est difficile de l’ignorer: 77% des espagnols, d’après un sondage effectué par El País, soutenaient la mobilisation féministe. En parlant avec de nombreuses autres jeunes filles “expat”, n’ayant pas pu vivre la journée de près, un sentiment paraissait amplement partagé: pour une fois, on se sentait vraiment fières d’êtres espagnoles.


Manifestation à Madrid


La grève avait quatre dimensions: grève de travail, de consommation, étudiante et de soins. Cette dernière était une des innovations de la journée, qui ne se voyait pas aux pavés mais en haussant la tête, en jetant un coup d’œil aux balcons. De centaines de tabliers y étaient tendus, symbole de toutes ces espagnoles travaillant au foyer et qui faisaient aussi grève: montrant aux quatre vents que la besogne reproductive est aussi un travail, toujours caché derrière le fait qu’il ne soit pas salarié.


Même les statues n’ont pas pu échapper au mouvement féministe (Pamplona)


D’où vient cette vague violette ? Pourquoi, deux années de suite, l’Espagne est présente dans la presse internationale le lendemain du 8 mars ? Quelques analystes évoquent la montée du parti d’extrême-droite Vox, qui demande l’abrogation de certaines lois protégeant les femmes victimes de violence ; ou encore le changement de gouvernement d’il y a quelques mois, amenant l’exécutif plus féminisé de toute l’Europe. D’autres argumentent qu’un des éléments qui alluma la mèche fut le cas de la « Meute », cinq hommes condamnés à 9 ans par abus sexuel alors que le procureur demandait 18 pour leur violation collective à une jeune fille majeure depuis peu. Mais ce sont aussi des racines ancrées depuis longtemps : les manifestantes de vendredi dernier se réclamaient comme les voix des 983 femmes tuées par leur partenaire depuis 2003, ainsi que des victimes des violences sexuelles -1702 délits de violation dénoncés cette année, rappelons-le. Depuis si longtemps, qu’on voit à présent les grands-mères défiler avec leurs petites filles, essayant de leur laisser un monde plus juste, où elles pourront enfin rentrer seules la nuit, gagner le même salaire, décider de leur corps : avoir les droits qu’on mérite, bref.


Ce 2019, la grève a été convoquée dans d’autres pays, comme la Belgique, l’Allemagne, le Portugal ou la Turquie, tandis que des manifestations surgissaient à peu près partout. Peut-être que, tout comme avec le mariage homosexuel, l’Espagne a déjoué les stéréotypes et peut avoir servi de précédent en montrant que si les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête aussi.




192 views

Commentaires


bottom of page