Le rapport de la commission sur la situation de l’État de droit
Le 7 octobre dernier, le Collège d’Europe a eu l’honneur de recevoir à Bruges le commissaire européen à la Justice Didier Reynders pour présenter la première édition du rapport annuel sur la situation de l’État de droit dans l’Union européenne. Le rapport a été publié par la Commission européenne le 30 septembre[1].
Comme l’a souligné M. Reynders au début de son intervention, la problématique de l’État de droit n’est pas nouvelle. Souvent qualifié de concept abstrait, l’État de droit est en réalité bien concret en ce qu’il est le fondement et le prérequis de nos systèmes démocratiques. Le respect de l’État de droit implique que tous les pouvoirs publics agissent dans les limites fixées par la loi conformément aux valeurs de la démocratie et des droits fondamentaux et sous le contrôle de tribunaux indépendants et impartiaux. L’État de droit comprend plusieurs principes qui ont été dégagés par la jurisprudence de la CJUE, ainsi que celle de la CEDH : la légalité ; la sécurité juridique ; l’interdiction de l’exercice arbitraire du pouvoir exécutif ; l’indépendance, l’impartialité et l’effectivité du contrôle juridictionnel y compris le respect des droits fondamentaux ; la séparation des pouvoirs et l’égalité devant la loi. L’État de droit est consacré par l’article 2 du TUE comme l’une des valeurs fondamentales de l’Union européenne.
Le respect de l’État de droit est un élément crucial pour l’édifice de l’Union dans son ensemble. D’une part, il est indispensable pour le bon fonctionnement du marché intérieur puisqu’il garantit un environnement favorable aux entreprises et aux investissements. D’autre part, il assure une coopération civile et pénale efficace entre les États membres, par exemple pour l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, il est nécessaire d’avoir une confiance mutuelle entre les États membres et les juges. Enfin, l’État de droit guide l’action extérieure de l’Union. Une approche forte est adoptée par l’Union dans ses relations avec les pays candidats, voisins et partenaires internationaux, si l’État de droit n’est pas respecté en son propre sein comment peut-elle être crédible lorsqu’elle l’évoque à l’extérieur ?
Le respect de l’État de droit ne peut et ne doit pas être pris pour acquis comme ces dernières années en témoignent. En effet, une multiplication de violations portées à cette valeur a émergé dans certains États membres. Face à ces atteintes graves et récurrentes, la Commission en tant que gardienne des traités a développé une boîte à outils pour pallier cette crise : la procédure d’infraction ; la procédure de l’article 7 du TUE[2] ; les mesures adoptées dans le cadre du Semestre européen[3] ; ou encore la proposition de règlement sur la protection du budget de l’Union en mai 2018 consistant à conditionner l’allocation des fonds européens au respect de l’État de droit.
Dans la continuité des instruments développés par la Commission européenne, le rapport annuel sur l’État de droit représente une approche innovante dont le but est de protéger cette valeur et de la promouvoir. Désormais, chaque année la Commission établira un rapport sur la situation de l’État de droit dans lequel elle fournira son évaluation qualitative des tendances générales et des situations spécifiques dans les vingt-sept États membres permettant ainsi une meilleure compréhension de la situation dans l’intégralité de l’Union. Ce rapport recense les développements à la fois positifs et négatifs en soulignant les défis émergeants ou en voie d’approfondissement et tout en mettant en lumière les bonnes pratiques. Le rapport fait une distinction claire entre d’une part, les préoccupations ponctuelles à l’égard de certains États membres et d’autre part, les problèmes plus systémiques. Si le rapport n’est pas une recommandation formelle, c’est une importante source d’information pour surveiller la situation de l’État de droit. L’objectif de ce nouvel outil est d’instaurer un dialogue plus profond sur l’État de droit au niveau européen ainsi qu’au niveau national au moyen de débats ouverts et en échangeant sur les meilleures pratiques. Comme l’a rappelé M. Reynders à plusieurs reprises, la volonté affichée par la Commission européenne est de construire une véritable « culture de l’État de droit » et de faire comprendre aux citoyens européens ce que signifie réellement l’État de droit et comment il façonne leur vie quotidienne.
« Nous voulons réellement construire une culture de l’État de droit et mieux faire comprendre aux citoyens européens ce que l’État de droit signifie et comment il façonne leur vie (...). Notre objectif n’a jamais été de blâmer un pays mais d’apprendre les uns des autres et de donner à chaque État membre la possibilité de faire mieux »
– Didier Reynders, commissaire européen à la Justice
Pour mettre en place ce mécanisme, les vingt-sept ministres des Affaires étrangères ont été contactés afin d’établir un réseau de points de contact nationaux. L’idée n’était pas uniquement d’établir une voie de communication constante avec les États membres mais également de discuter de la méthodologie. Les États ont été placés sur un strict pied d’égalité puisque la même méthodologie a été appliquée à tous. Sur cette base, tous les États membres ont participé au processus par le biais de contributions écrites. De plus, la Commission a procédé à une prise de participation ciblée avec 200 parties prenantes ayant fourni des contributions écrites, 300 visites dans plusieurs pays, ou encore avec la participation des États membres vérifiant l’exactitude des projets établis les concernant.
Le rapport de la Commission s’appuie sur quatre domaines clés. L’indépendance, la qualité et l’efficacité des systèmes judiciaires : si l’indépendance judiciaire demeure un sujet de préoccupation dans plusieurs États membres, des efforts sont à souligner dans un certain nombre d’États pour renforcer l’indépendance de la justice et réduire l’influence des pouvoirs exécutif et législatif sur le pouvoir judiciaire. Les cadres de lutte contre la corruption : plusieurs États membres ont récemment adopté de nouvelles stratégies globales de lutte contre la corruption ou révisé celles existantes, d’autres ont introduit des mesures visant à renforcer les capacités institutionnelles. Néanmoins, certains suivis soulèvent des préoccupations liées notamment aux enquêtes, poursuites et arbitrages des cas de corruption. La liberté et le pluralisme des médias : si l’indépendance des médias est inscrite dans le droit de tous les États membres, des signes inquiétants sont à relever dans plusieurs États tels qu’une influence politiques sur les médias, un manque de transparence quant à la propriété des médias ainsi que des risques importants pour les journalistes. Enfin, l’équilibre des pouvoirs entre les institutions : il existe dans plusieurs États membres des débats tendant à renforcer les garanties juridiques et constitutionnelles, des réformes sont actuellement en cours. Toutefois, ont aussi été identifiées des préoccupations dans quelques États membres comme des recours répétés à des ordonnances d’urgence du gouvernement.
Pour conclure, à travers ce rapport la Commission a souhaité instituer un dialogue plus profond à une échelle tant nationale qu’européenne que ce soit avec le Parlement européen, le Conseil mais aussi les parlements nationaux ou les parties prenantes (académiques, juges, journalistes, société civile...). L’Union européenne étant fondée sur la diversité et l’inclusivité, il doit être possible de discuter partout en Europe de nos valeurs sans qu’aucun État membre ne se sente stigmatisé.
Nos derniers mots seront destinés au commissaire européen à la Justice M. Reynders. L’ensemble des étudiants tiennent à le remercier chaleureusement pour sa venue au Collège d’Europe, pour avoir exposé les tenants et les aboutissants du nouveau rapport de la Commission européenne sur la situation de l’État de droit, mais également d’avoir pris le temps de répondre à toutes les questions posées sur le sujet par les étudiants.
Myriam DZIEWIT BENALLAOUA
Rédactrice de la section politique
[1] Rapport 2020 sur l’état de droit – La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, COM(2020) 580 final, 30 septembre 2020. [2] La procédure de l’article 7 peut être déclenchée en cas de risque clair d’une violation sérieuse des valeurs européennes ou de l’existence d’une violation sérieuse et persistante de ces valeurs. L’article 7 §1 a été déclenché pour la première fois par la Commission en décembre 2017 à l’encontre de la Pologne. Il a également été activé par le Parlement en septembre 2018 à l’encontre de la Hongrie. Les deux procédures sont en cours devant le Conseil. [3] La Commission a émis plusieurs recommandations sur des réformes judiciaires de certains États membres qui ont été adoptées par le Conseil.
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